Votre maman vous regarde sans vous reconnaître. Votre papa cherche inlassablement « sa maison » alors qu'il est dans son salon depuis quarante ans. Face à la maladie d'Alzheimer, l'une des questions les plus douloureuses que se posent les aidants familiaux est : « Que ressent vraiment mon proche ? » Comprendre le monde intérieur d'une personne atteinte d'Alzheimer n'est pas qu'une simple curiosité intellectuelle, c'est une nécessité pour mieux l'accompagner, avec bienveillance et dignité.
Contrairement aux idées reçues, les personnes malades ne sont pas des « coquilles vides ». Elles ressentent une large palette d'émotions : joie, peur, tristesse, colère, frustration . Leur sensibilité demeure intacte, même lorsque leur mémoire s'efface progressivement. Dans cet article, nous vous proposons d'explorer avec empathie ce que vit réellement une personne atteinte d'Alzheimer, pour vous aider à mieux comprendre et accompagner votre proche dans ce parcours difficile. Cette compréhension est d'ailleurs essentielle, que votre proche vive encore à domicile, en résidence autonomie adaptée aux personnes Alzheimer ou en établissement spécialisé.
La confusion et la désorientation : vivre dans un monde qui ne fait plus sens
L'un des ressentis les plus déstabilants pour une personne atteinte d'Alzheimer est la confusion permanente. La désorientation spatio-temporelle fait partie des symptômes les plus courants de la maladie . Imaginez-vous vous réveiller chaque matin sans savoir quel jour nous sommes, où vous vous trouvez, ni parfois même qui vous êtes.
Les personnes malades peuvent avoir du mal à reconnaître des lieux pourtant familiers. Leur propre domicile peut devenir un territoire étranger, voire hostile. Elles ne se rappellent plus des dates importantes, du jour de la semaine, de la saison. Le temps devient flou, discontinu. Certaines personnes cherchent désespérément « leur maison » alors qu'elles y sont, ou veulent « rentrer chez leurs parents » décédés depuis des décennies .
Cette confusion génère une angoisse considérable. Chaque jour devient une lutte contre la perte de repères. Ce qui était autrefois familier se transforme en territoire déconcertant. Les malades peuvent se sentir perdus dans leur propre quartier, ne plus retrouver leur chemin dans des lieux qu'ils fréquentaient régulièrement . C'est d'ailleurs pour cette raison que les unités protégées Alzheimer ont été conçues : offrir un environnement sécurisé et rassurant adapté à ces troubles.
L'anxiété et la peur : des émotions omniprésentes
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'anxiété est une conséquence très fréquente de la maladie d'Alzheimer . Les personnes concernées développent une peur constante de l'oubli et s'inquiètent profondément pour leur avenir et celui de leurs proches.
Cette anxiété se manifeste de plusieurs façons :
- Les mêmes questions sont posées sans cesse, à la recherche d'une réassurance
- Une agitation constante, particulièrement accentuée en fin de journée (syndrome du coucher du soleil)
- Des comportements de vérification obsessifs : fermeture du gaz, des portes, des fenêtres
- Une déambulation incessante, comme une recherche de quelque chose de familier
Les personnes malades ont peur de perdre leur autonomie, leur dignité et leur indépendance. Elles craignent également de devenir un fardeau pour leur entourage et de ne plus être en mesure de remplir leur rôle de parent, de conjoint ou d'ami .
La frustration et la colère face aux pertes progressives
Aux premiers stades de la maladie, lorsque la conscience des troubles est encore présente, la frustration peut être intense. Selon un sondage réalisé en 2015 pour l'association France Alzheimer, 80 % des personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer sont conscientes de leurs difficultés mais n'osent pas en parler à leur entourage par gêne ou par peur .
Cette frustration naît de plusieurs situations :
- L'incapacité à se rappeler des informations importantes, comme le nom d'un petit-enfant ou l'endroit où l'on a rangé ses clés
- La difficulté grandissante à effectuer des tâches simples de la vie quotidienne : s'habiller, préparer un repas, utiliser le téléphone
- La peine à communiquer efficacement : chercher ses mots, perdre le fil d'une conversation, ne pas trouver les mots justes pour exprimer un besoin
À mesure que la maladie progresse, les personnes atteintes perdent progressivement leur autonomie. Cela peut être particulièrement frustrant pour celles qui étaient auparavant indépendantes et actives. Cette frustration peut parfois se traduire par de l'irritabilité, de l'agitation ou même de l'agressivité – des comportements qui sont en réalité l'expression d'un profond mal-être .
La mémoire émotionnelle : ce qui reste quand tout s'efface
Voici une information essentielle pour tous les aidants : la mémoire émotionnelle reste largement préservée dans la maladie d'Alzheimer . Même si votre proche ne se souvient plus de ce que vous avez fait ensemble la veille, il ressent profondément les émotions que vous lui transmettez.
Les recherches scientifiques montrent que l'amygdale, la structure cérébrale responsable du traitement des émotions, continue de fonctionner même aux stades avancés de la maladie. Les personnes malades perçoivent les émotions comme les personnes saines . Elles captent :
- Les ambiances : tension, stress, bienveillance, joie
- Le ton de la voix : douceur ou impatience
- Les gestes : tendresse d'une caresse ou brusquerie
- Les regards : chaleur ou agacement
Cela signifie une chose fondamentale : votre proche ressent votre amour, mais aussi votre stress et votre tristesse. Les émotions positives peuvent stimuler leur bien-être, tandis que les tensions sont immédiatement perçues et peuvent augmenter leur anxiété .
Les perceptions sensorielles altérées
La maladie d'Alzheimer modifie aussi la façon dont les personnes malades perçoivent leur environnement. Les troubles de la perception visuelle peuvent les amener à mal interpréter ce qu'elles voient :
- Confusion entre les reflets dans un miroir et de vraies personnes (sentiment d'« intrus »)
- Peur des ombres ou des contrastes marqués au sol
- Difficulté à évaluer les profondeurs, ce qui peut rendre difficile le passage d'une pièce à l'autre
En revanche, les autres sens restent souvent très actifs . Le toucher, l'odorat et l'ouïe deviennent même parfois des canaux de communication privilégiés lorsque le langage verbal s'estompe. C'est pourquoi les approches sensorielles – musique, toucher thérapeutique, aromathérapie – peuvent apporter un réel réconfort aux personnes malades.
L'évolution du ressenti selon les stades de la maladie
Au stade débutant : conscience douloureuse
Aux premiers stades, la conscience de la maladie est souvent présente . Les personnes malades se rendent compte de leurs oublis, ce qui peut engendrer :
- Un sentiment d'humiliation face aux trous de mémoire
- Une dépression, très fréquente à ce stade
- Des stratégies de dissimulation : prendre des notes, éviter certaines situations sociales
Cette période est particulièrement difficile émotionnellement, car la personne voit ses capacités se dégrader et anticipe avec angoisse la suite de l'évolution.
Au stade modéré : entre moments de clarté et confusion
À ce stade, les personnes alternent entre moments de lucidité et périodes de grande confusion . Les troubles du comportement s'intensifient – agitation, déambulation, agressivité – et sont souvent l'expression d'un besoin non satisfait : douleur, inconfort, peur, besoin d'aller aux toilettes.
Au stade avancé : retrait progressif mais sensibilité préservée
Même aux stades très avancés, les personnes malades restent sensibles . Si la communication verbale devient très limitée, elles continuent de réagir :
- Aux voix familières et au ton apaisant
- À la musique, particulièrement celle de leur jeunesse
- Au toucher : caresses, massages doux
- Aux expressions du visage de leurs proches
« Plus la fonction cognitive se dégrade, plus la tristesse et le désespoir s'atténuent : avec le temps, les malades oublient leur condition et évoluent dans leur propre réalité », explique Alexandra Derrien, neuropsychologue . Cela ne signifie pas qu'il faut les abandonner, mais plutôt qu'il faut adapter notre façon d'être à leurs côtés.
Comment mieux accompagner en comprenant leur ressenti
Comprendre ce que ressent votre proche atteint d'Alzheimer vous permet d'adapter votre accompagnement :
1. Validez les émotions plutôt que corriger les faitsSi votre maman cherche sa mère décédée, ne lui répétez pas brutalement qu'elle est morte. Privilégiez une réponse empathique : « Je comprends que tu aies envie de la voir. Tu l'aimais beaucoup, n'est-ce pas ? »
2. Créez un environnement rassurant
- Maintenez des routines prévisibles qui sécurisent
- Réduisez les sources de sur-stimulation (bruit, agitation)
- Personnalisez les espaces avec des objets familiers
3. Privilégiez les approches non-médicamenteusesLa musicothérapie, l'art-thérapie, les activités sensorielles douces et les massages peuvent apporter un grand réconfort . Même au stade avancé, il existe de nombreuses activités adaptées qui permettent de maintenir du lien et du bien-être.
4. Prenez soin de vousAccompagner un proche atteint d'Alzheimer est épuisant. N'hésitez pas à demander de l'aide aux CLIC, aux associations comme France Alzheimer, et à envisager des solutions de répit.
En conclusion : l'humanité demeure
Les personnes atteintes d'Alzheimer ressentent des émotions profondes et conservent une grande sensibilité, même lorsque leur mémoire s'efface. Elles perçoivent votre amour, votre patience, mais aussi votre stress et votre tristesse. Chaque geste de tendresse, chaque sourire, chaque moment de présence compte et nourrit leur bien-être émotionnel.
Accepter que la personne ne soit plus tout à fait la même, faire son « deuil blanc », adapter votre communication et votre présence à ses capacités du moment : voilà les clés d'un accompagnement bienveillant. Non, les choses ne seront plus « comme avant », mais l'amour et la connexion émotionnelle peuvent perdurer malgré la maladie.
Lorsque les difficultés s'intensifient et que vous devez envisager une entrée en EHPAD, il est important de savoir qu'il existe des solutions même lorsque votre proche refuse. Chaque année, la Journée mondiale de l'Alzheimer rappelle l'importance de la recherche et de l'accompagnement des familles face à cette maladie.
Chez Zenior, nous comprenons les défis que représente l'accompagnement d'un proche atteint d'Alzheimer. Notre équipe d'experts vous accompagne gratuitement pour trouver les solutions adaptées : évaluation des besoins, recherche d'établissements spécialisés, information sur les aides financières disponibles. N'hésitez pas à nous contacter pour un accompagnement personnalisé.
Vous n'êtes pas seul. Et votre proche non plus.









